Michel Leurquin & Patricia Finné, Les tueurs fous du Brabant
EnquêteDocument
324 pages
a paru le 11 octobre 2012
ISBN 978-2-3588-7105-1
Michel Leurquin & Patricia Finné

Les tueurs fous du Brabant

EnquêteDocument
324 pages a paru le 11 octobre 2012ISBN 978-2-3588-7105-1

Un crime inexpliqué et donc impuni provoque chez tout un chacun un sentiment d’injustice. D’autant plus qu’ici il ne s’agit pas d’un seul crime, mais de vingt-huit assassinats. Vingt-huit personnes, hommes, femmes et enfants abattus dans une série de hold-up et de cambriolages d’une violence inouïe commis entre 1982 et 1985 en Belgique et dans le Nord de la France. Tués par des assassins jamais identifiés : les tueurs du Brabant, du nom de cette province belge où eurent lieu leurs pires méfaits. Et cela malgré une prime de deux cent cinquante mille euros qui sera attribuée à quiconque permettra leur identification. L’affaire des tueries du Brabant reste omniprésente dans l’inconscient collectif. Une dizaine de juges d’instruction, des centaines d’enquêteurs, plusieurs cellules d’enquête, deux commissions d’enquête parlementaire ont tenté d’élucider cette affaire sans précédent. En pure perte. La juge d’instruction Martine Michel et l’équipe d’enquêteurs de la Cellule Brabant Wallon (CBW) continuent envers et contre tout leurs investigations.

D’innombrables pistes ont été envisagées : la thèse adoptée par les enquêteurs de la PJ de l’époque était celle du grand banditisme. Puis sont venues d’autres hypothèses : une bande menée par un psychopathe dissimulant des massacres gratuits en braquages, un chantage en rapport avec le crime organisé et un racket qu’aurait subi une chaîne de supermarchés où plusieurs massacres eurent lieu. Le practical shooting : des amateurs de tirs sur cible auraient voulu passer à de véritables meurtres en tirant sur des personnes vivantes. La théorie des « cadavres exquis », des crimes ciblés, visant des personnes biens précises, mais dissimulés dans un carnage général. Un complot qui aurait visé à déstabiliser l’État belge, voire d’autres pays d’Europe occidentale. On verrait dans ces tueries l’action de groupements extrémistes cherchant à créer un climat de terreur auprès de la population et à favoriser l’instauration d’un régime fort. On a notamment accusé un groupe néonazi manipulé par les services secrets belges. D’autres font même un lien avec l’organisation Gladio et les réseaux stay-behind des structures clandestines de l’OTAN chargées de résister à une éventuelle invasion soviétique. Durant cette même période se produisirent aussi en Belgique des attentats menés par un nouveau mouvement d’extrême gauche, inconnu jusque-là, les Cellules communistes combattantes dont les membres, parfois, eux aussi, ont été suspectés d’être les auteurs de certaines de ces tueries, et qui seront finalement arrêtés...

Ce document unique fait le point sur l’affaire.

  • Criminologue bruxellois, enseignant, Michel Leurquin suit le dossier des tueurs du Brabant depuis l’origine. Il a créé un forum de discussion sur cette affaire.
    Patricia Finné est la fille de Léon Finné, victime des Tueurs fous du Brabant, abattu le 27 septembre 1985. Partie civile, elle s’est beaucoup investie dans la recherche de la vérité en menant ses propres investigations.
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    Rien n’est pire qu’un crime inexpliqué et donc impuni. Cela provoque chez tout un chacun un sentiment d’injustice, d’autant plus qu’ici il ne s’agit pas d’un seul crime, mais de vingt-huit assassinats. Vingt-huit personnes, hommes, femmes et enfants abattus dans une série de hold-up et de cambriolages d’une violence inouïe commis entre 1982 et 1985 en Belgique, mais aussi dans le nord de la France. Tués par une bande d’hommes insaisissables et diaboliques jamais identifiés à l’heure où vous lisez ces lignes : les tueurs du Brabant, du nom de cette province belge encore unifiée à l’époque où eurent leurs méfaits. Et cela malgré l’existence d’une prime record de deux cent cinquante mille euros qui sera attribuée à quiconque permettra leur identification.

    Cette affaire reste une des plus grandes énigmes judiciaires du XXe siècle. L’affaire des tueries du Brabant reste omniprésente dans l’inconscient collectif des Belges qui vécurent trois années d’horreur. Mais le temps fait son œuvre et efface les traces et les témoins.

    Qui étaient-ils ? Des gangsters d’un nouveau type avides de butins faciles ? Des terroristes ne revendiquant pas leurs actes pour mieux rester dans l’ombre ? Des psychopathes dont la vue du sang rendait insatiables ? Des soldats perdus d’une cause indéfendable ? Des mercenaires froids appuyant sur la gâchette sans état d’âme ? La question est toujours sans réponse. Même leurs mobiles restent à ce jour inconnus. Et c’est intolérable. Intolérable pour les victimes de ces cruelles tueries. Intolérable pour leurs familles meurtries au plus profond de leur chair. Intolérable pour le citoyen ordinaire hanté par cette affaire. Intolérable pour la justice belge confrontée à l’échec de la plus grande enquête criminelle de l’histoire du plat pays. Un véritable Hiroshima judiciaire dont elle ne se remettra pas totalement.

    Une dizaine de juges d’instruction, des centaines d’enquêteurs, plusieurs cellules d’enquête, deux commissions d’enquête parlementaire ont tenté d’élucider cette affaire sans précédent. En pure perte. Résoudre l’affaire des tueurs fous du Brabant semble aussi difficile et périlleux que de résoudre la quadrature du cercle. Beaucoup s’y sont essayés. Tous se sont cassé les dents. Quelques-uns en ont beaucoup souffert. D’autres ne s’en sont jamais remis. D’autres encore en sont morts.

    Malgré tout un mince espoir de résoudre ce dossier subside. La juge d’instruction Martine Michel et l’équipe d’enquêteurs de la Cellule Brabant Wallon, la CBW, continuent envers et contre tout leurs investigations en ayant en ligne de mire la prescription qui frappera inexorablement en novembre 2015. La course contre-la-montre a commencé.

    Pourquoi un tel ouvrage ? Nous voulions dresser un état des lieux de l’enquête la plus longue, la plus mystérieuse de l’histoire judiciaire belge de manière factuelle. Sans sensationnalisme. Sans jeter l’opprobre sur les uns ou les autres car nous sommes attachés à la présomption d’innocence. Cet ouvrage n’a pas l’ambition de servir sur un plateau la vérité. Vous ne trouverez pas les noms des tueurs du Brabant dans ce livre. Nous n’avons pas cette prétention. Mais nous gardons l’espoir car justice doit être rendue par égard aux victimes.

    Chapitre 1 : La première vague

    Les méfaits criminels des tueurs du Brabant ont été commis en deux vagues distinctes. Une première débute en août 1982 et se termine en décembre 1983 entraînant la mort de douze personnes, une seconde durant l’automne 1985 au cours de laquelle seize autres perdront la vie. Les objectifs de ces deux tueries semblent être très différents, mais il est admis qu’elles ont été le fait d’une même bande, et ce même si certains enquêteurs pensent qu’elles auraient pu être l’œuvre d’au moins deux groupes ayant puisé dans le même stock d’armes pour mieux brouiller les pistes. L’acte fondateur des tueries du Brabant a eu lieu à Maubeuge en France.

    Maubeuge, samedi 14 août 1982

    Maubeuge, tranquille cité du nord de la France, a vécu dans l’ombre des terrils et des hauts-fourneaux. En cette année 1982, un tiers des habitants de Maubeuge est au chômage suite aux restructurations industrielles. Si la région Nord-Pas-de-Calais est une plaque tournante du trafic de stupéfiants et de voitures volées vers la Belgique et les Pays-Bas, l’insécurité à Maubeuge se résume à quelques bagarres lors de la fermeture des bars. La quiétude du centre de la petite ville va cependant voler en éclat le samedi 14 août 1982.

    3 heures 30 du matin, la police municipale reçoit un appel téléphonique anonyme. L’interlocuteur signale que des individus rôdent autour de l’épicerie Piot située place des Nations. Ils viennent de forcer la porte d’entrée dépourvue de volet métallique. Les propriétaires sont absents, ils ont pris quelques jours de villégiature sur la Côte d’Azur. L’épicerie Piot ne se trouve qu’à quelques centaines de mètres du commissariat. Une patrouille de trois hommes reçoit l’ordre de se diriger à pieds vers les lieux afin de constater ce qui s’y trame exactement. Le comité d’accueil qui leur sera réservé sera pour le moins inhabituel.

    Les policiers aperçoivent tout d’abord un individu de forte corpulence le visage caché par un passe-montagne qui semble faire le guet. L’ombre sort un fusil ou une carabine et se met à tirer sans préavis. Surpris, les gardiens de la paix tentent de riposter. Sans succès. Leur arme de service s’enraye. L’agent de la paix Christian Delacourt, trente-six ans, s’écroule devant ses collègues. Il est touché à l’abdomen et saigne abondamment. Les policiers sont contraints de se mettre à l’abri. Les inconnus prennent la fuite à bord d’une Volkswagen Santana bleue. Depuis l’arrière du véhicule, un homme cagoulé continue à tirer pour couvrir la fuite. Les policiers auront à peine le temps d’observer que la voiture qui se dirige à vive allure vers la Belgique est munie de plaques d’immatriculation avec des lettres et des chiffres rouges sur fond blanc.

    Emporté vers les urgences, Christian Delacourt subira une délicate opération chirurgicale, il survivra et reprendra son service après une longue convalescence. Pensionné en 2000, il décédera un mois après des suites d’une longue maladie sans jamais connaître l’identité de ceux qui tentèrent de le tuer.

    La priorité de la police française sera de retrouver l’auteur du coup de téléphone signalant la présence des individus. Malgré une enquête de voisinage poussée, il ne sera jamais identifié. Les auteurs ont-ils eux-mêmes formé le numéro d’urgence dans le simple but de tester leurs réelles capacités de réaction face aux policiers ? Il y avait en effet une cabine téléphonique sur la place des Nations.

    Voilà que les Belges — parce qu’il s’agit selon toute vraisemblance de Belges — viennent commettre leurs méfaits sur le sol de l’Hexagone ! Et pour voler quoi ? Des bouteilles de vin, de champagne, quelques paquets de thé et du foie gras. Un butin que les cambrioleurs pourront peut-être négocier avec quelques restaurateurs peu scrupuleux. Les autorités judiciaires françaises vont toutefois prendre l’affaire très au sérieux. Les empreintes relevées dans le magasin seront transmises via Interpol aux pays limitrophes : inconnues aux fichiers. La SRPJ de Lille s’empare de l’affaire et transmet une copie du dossier à la gendarmerie belge.

    Ce hold-up fera les grands titres de la presse régionale. Les quotidiens nationaux n’y consacreront qu’un bref entrefilet. Après tout, ce ne sont que de petits malfrats qui ont tout simplement perdu leur sang-froid. Tous ne peuvent avoir la maîtrise du gang des postiches qui déjà donnait des sueurs froides aux responsables du ministère de l’Intérieur et de la police nationale. Qui à ce moment-là pouvait imaginer la suite terrifiante des événements ?

    Wavre, jeudi 30 septembre 1982

    Le jeudi 30 septembre 1982 est une journée comme les autres pour l’armurier Daniel Dekaise dont la boutique se situe 32 rue de Bruxelles à Wavre, en plein cœur du Brabant wallon, près du célèbre parc d’attraction Walibi. Daniel Dekaise est un orfèvre dans le domaine des armes. Sa réputation a dépassé allégrement les frontières de la Belgique. Sa clientèle est constituée de chasseurs, de policiers, de tireurs sportifs et de simples passionnés d’armes qui peuvent acheter fusils à pompe ou 22 Long Rifle sans même devoir présenter une pièce d’identité : ils sont en vente libre.

    Vers 10 h 30, en présence de deux clients, Gérard Gradzki et Cyrille Seykens, Dekaise voit arriver un inconnu avec la main dans la poche semblant dissimuler une arme de poing. Le danger est imminent, Dekaise le sent bien. Il se doit de rester calme. L’homme pénètre dans l’armurerie et braque un pistolet sur le visage de l’armurier tout en lui ordonnant de ne plus bouger. Deux complices entrent à leur tour dans l’armurerie. L’un brandit une arme de poing, l’autre tient un fusil de chasse à canons juxtaposés sorti de sa gabardine. Ils ont l’air particulièrement décidés et n’ont même pas pris la précaution élémentaire de se dissimuler le visage. Seykens, Gradzki et Dekaise doivent se coucher face contre le sol pendant que les fils de téléphone sont arrachés.

    Daniel Dekaise reçoit plusieurs coups de crosse sur la tête qui lui occasionneront des fractures autour des orbites. Les deux clients reçoivent aussi une volée de coups. Les agresseurs se saisissent dans un premier temps des portefeuilles des trois victimes.

    Dans un fracas assourdissant, les vitrines sont cassées, trois hommes s’emparent de certaines armes avant de les jeter dans des sacs de sport : deux pistolets Colt Cal.45 type Government, un revolver Smith et Wesson Cal. 9 mm type 547, canon 3.9, un revolver Colt Cal.45 type Long Colt, un revolver Ruger Cal.45 ACP et 45, un pistolet Smith et Wesson type 559, Cal. 9 mm, un revolver Ruger Cal.357, 38 et 9 mm, un revolver Ruger Cal.44 Magnum, un pistolet Bernardelli Cal. 7,65 mm, deux pistolets mitrailleurs Ingram M10 Cal. 9 mm, un pistolet-mitrailleur Beretta Cal 9 mm, un pistolet FN Cal.22 LR, un revolver Smith et Wesson Cal.357, canon 4, un revolver Smith et Wesson Cal.357 et.38, type 38 — type 19, deux revolvers Enfield Cal.380 démilitarisés, un pistolet-mitrailleur Schmeisser type MP40 hors d’usage. Un véritable arsenal. Les armes longues et les fusils d’assaut qui sont à portée de main sont laissés sur place, mais les individus s’emparent d’armes démilitarisées, les prenant au hasard comme s’ils étaient ignorants de leur non-fonctionnement.

    Soudain, l’un des trois hommes s’écrie « On se tire, on a ce que l’on cherche ». Impuissant, Daniel Dekaise, qui s’est retrouvé en permanence avec une arme sur la nuque pense qu’il va mourir quand il entend un coup de feu. Mais ce n’est pas lui qui est visé. Un obstacle va se dresser devant ceux qu’on n’appelle pas encore les tueurs du Brabant et va contrecarrer leur plan.

    Dans cette petite rue étroite, un hold-up ne peut pas passer inaperçu. Un témoin de l’attaque croise un peu plus loin dans l’artère un fourgon de police. Un seul agent de la police communale se trouve à son bord. Alerté, Claude Haulotte sort de son véhicule en laissant les clefs sur le contact, dégaine son arme et se rapproche avec prudence des lieux du hold-up. La suite des événements reste confuse. Les braqueurs l’ont vu et sortent de l’armurerie. Une fusillade va éclater en pleine rue. Caché derrière une camionnette en stationnement, l’agent Haulotte aura le temps de tirer un seul coup de feu. Le trio riposte. Claude Haulotte est touché par trois projectiles de 7.65. Une balle traverse sa boîte crânienne de part en part et cause sa mort immédiate. Le jeune policier âgé de trente-six ans sera le premier des vingt-huit morts attribués à la bande.

    Les individus balancent les sacs contenant les armes volées dans le coffre d’une VW Santana bleu foncé munie de fausses plaques d’immatriculations françaises, garée à quelques mètres depuis le matin. Deux hommes prennent place à bord tandis que le troisième déplace le fourgon de police qui obstrue la ruelle, avant de reprendre place à l’arrière de la VW Santana. Une fois réunis, ils prennent la direction de Bruxelles.

    Un autre témoin aura le réflexe de téléphoner aux forces de l’ordre. Dans le secteur, ordre est donné à toutes les patrouilles d’intercepter un véhicule bleu pouvant être une VW Santana ou une Audi 80, les deux modèles étant très proches.

    Alertés, deux membres de la BSR, la Brigade de Surveillance et de Recherche de Wavre, sortent précipitamment de leurs locaux, Chaussée de Bruxelles, et voient un bolide passer à toute vitesse. À bord d’une Renault 4 banalisée, deux gendarmes, le premier Maréchal des Logis Bernard Sartillot et l’adjudant-chef Roland Campine se lancent à leur poursuite. Ils seront dans un premier temps semés par la puissante automobile allemande qui prend la direction de Tombeek. Quelques kilomètres plus loin, les gendarmes sont surpris de revoir le véhicule qu’ils identifient cette fois-ci très certainement comme un Santana surgir d’une aire de stationnement et munie cette fois de plaques belges portant l’immatriculation DSN 237. Les malfrats utilisent des fausses plaques magnétiques. La poursuite va recommencer pendant plusieurs kilomètres à travers les ruelles étroites de la commune flamande d’Overijse que le conducteur semble connaître comme sa poche. Mais la Renault 4 s’accroche, un exploit, et ne perd pas le contact visuel avec le véhicule pourchassé. La circulation se fait soudain dense et ralentit considérablement la Santana obligée de zigzaguer entre les automobiles.

    Durant cette course-poursuite, l’adjudant-chef Campine s’exclame : « Je crois que c’est Bouhouche à l’arrière ! ». Campine n’a pas eu l’occasion de voir le visage de l’homme, mais l’a reconnu semble-t-il à sa longue coiffure très particulière et fort peu réglementaire. Les gendarmes tentent par radio de rameuter des renforts, mais le réseau est saturé et leur demande ne sera jamais été entendue ou comprise.

    À Hoeilaart, à un carrefour, la Santana est bloquée dans une file d’automobiles. Profitant de cette aubaine, les gendarmes parviendront à la dépasser et à lui bloquer le passage. Tout est prêt pour une scène de western. Si les gendarmes avaient eu sous la main un pistolet-mitrailleur, ils auraient pu mettre fin à la série sanglante qui allait survenir. Mais ils n’ont que leur arme réglementaire : un pistolet FN 7.65 modèle 1922 muni d’un chargeur à huit coups, une arme fort peu efficace vu sa faible capacité de perforation et sa faible portée.

    Sortis de la Renault 4, Sartillot et Campine se mettent en position de tir comme ils l’ont fait souvent dans leur carrière dans les stands de tir. Mais la situation de tir réelle en milieu urbain est très différente, surtout face à des individus qui viennent déjà d’abattre de sang-froid un policier. Le passager de la Santana et le conducteur sortent au même moment les armes à la main, prêts à éliminer les gendarmes. Quelques mètres les séparent. La fusillade éclate devant les yeux médusés de plusieurs témoins. L’adjudant-chef Campine et le passager avant de la Santana ont ouvert le feu simultanément. Campine vide le chargeur de son 7.65 mais, touché par quatre projectiles, se met à l’abri. Ayant épuisé également ses munitions et sans la possibilité de recharger, son collègue Sartillot va se trouver dans la ligne de mire du fusil d’un des membres du trio : il est la proie facile du malfrat. Clic. Clic. L’arme du truand est vide. Sartillot change de position mais ne peut éviter une décharge de soixante-douze plombs qui l’atteindra dans le bas du dos. Des plombs de gros calibre que les chirurgiens n’ont pas pu ou voulu retirer et avec lesquels il vit encore. À court de munitions, la bande fait marche arrière.

    À bord de sa Range Rover, le chef cuisinier Pierre Romeyer, un des meilleurs chefs cuisiniers de Belgique assiste à la scène à une distance d’environ cent cinquante mètres. C’est lui qui le premier portera une aide aux deux gendarmes blessés et en téléphonant aux secours depuis un garage. Quelques heures plus tard, il recevra un coup de fil pour le moins perturbant où on lui conseillera de se taire. A-t-il été reconnu ou les agresseurs ont-ils eu accès au fichier d’immatriculation des véhicules ?

    Les malfaiteurs prennent la fuite et disparaissent. Ont-ils trouvé refuge de gré ou de force chez un malfrat du nom de Hendrik Rauwens habitant à quelques centaines de mètres comme l’ont pensé certains enquêteurs ? Interrogé par la BSR, Rauwens niera avoir accordé l’asile pendant quelques heures aux tueurs. Mais pouvait-il faire autrement ?

    Sur les lieux de l’attaque de Wavre, les trois victimes de l’armurerie sont transférées vers l’hôpital pour y recevoir des soins appropriés. Le juge d’instruction de Nivelles Guy Wezel et le procureur du roi Jean Deprêtre débarquent en début d’après-midi accompagnés d’une escouade d’inspecteurs de la PJ, d’un expert en balistique et d’un médecin légiste.

    Le soir, vers 22 heures 30, la Santana est retrouvée en flammes dans une allée de la forêt de Soignes, « une drève », dans la banlieue Sud de Bruxelles : drève des Tumuli. À l’intérieur de la carcasse, les policiers trouveront des douilles percutées de 9 mm, des billes métalliques volées à Dekaise servant à obstruer des canons, ainsi qu’une balance de ménage.

    La Santana sera détruite par la suite par les autorités judiciaires. « Par erreur ». Une pièce en conviction qui partira en fumée comme tant d’autres. On retrouva dans sa boîte à gants des papiers faisant croire qu’elle avait circulé un moment en Suède. Ce petit mystère a une explication très simple : les Santana livrées en Belgique contenaient des manuels d’utilisation rédigés en plusieurs langues dont le suédois.

    Et les témoins directs du hold-up qu’ont-ils à raconter ? Peu de chose : sorti de son coma, Daniel Dekaise décrira l’un des agresseurs, efféminé, comme « une petite tapette marocaine » (sic).

    Après cette attaque ayant coûté la vie à un policier communal, événement rare en Belgique, d’importants moyens sont déployés pour l’enquête. Les deux premiers suspects sont deux truands évadés depuis 1980 de la prison de Lantin : Michel Anthémus et Francis Royen. Le sang-froid, le côté rodéo urbain et le remplacement rapide des plaques par d’autres sont une des marques de fabrique de ces deux malfaiteurs hors-norme. De plus, des témoins de l’attaque croient les reconnaître parmi les photos présentées par la police.

    Deux douilles de 7.65 retrouvées devant l’armurerie seront transmises par la PJ de Nivelles à un inspecteur de Lille qui remarquera qu’elles étaient identiques à celles tirées place des Nations à Maubeuge, tant sur le plan de l’extraction que de la percussion. Les laboratoires français le confirmeront après une batterie de tests plus importants.

    Les policiers sont convaincus aussi que la Santana utilisée à Wavre fut déjà employée à Maubeuge. Elle a été volée avec ses clefs sur le contact dans une concession de Lembeek la nuit du 10 mai 1982 par au moins deux hommes. À proximité du garage sera retrouvée une Austin Allegro dérobée en fin de soirée à Ixelles par les tueurs et qui a servi à les mener à Lembeek.

    Le 16 octobre 1982, un adolescent se promenant à vélo fera une étrange découverte dans la forêt de Soignes au carrefour formé par les drèves du Sanatorium et Sainte-Corneille. Il trouve : les documents d’identité des victimes du braquage de Wavre, la plaque d’immatriculation DSN 237 de la Santana découpée en vingt-sept morceaux, des blocs de mousse garnissant l’intérieur de sièges automobiles, deux appuie-tête arrière, une chaussure découpée et un polo déchiré enterrés dans la hâte au pied d’un arbre, des montures de lunettes, un numéro d’El Pais, des chèques établis au nom de Dekaise, mais aussi une carte portant l’inscription "PARCAGE ALTERNATIF-ARRET ALTERNATIF."

    En 1986 lorsque la presse diffusera la photo de l’ingénieur de la Fabrique Nationale Juan Mendez abattu sur une bretelle d’autoroute, Bernard Sartillot estimera que la physionomie de Mendez pouvait correspondre à celle de l’homme qui lui tira dessus.