François Médéline, L'Ange rouge
Roman policierRoman noirThriller
506 pages
a paru le 1 octobre 2020
ISBN 978-2-3588-7696-4
François Médéline

L’Ange rouge

Roman policierRoman noirThriller
506 pages a paru le 1 octobre 2020 ISBN 978-2-3588-7696-4
Roman policierRoman noirThriller
506 pages a paru le 1 octobre 2020 ISBN 978-2-3588-7696-4

À la nuit tombée, un radeau entre dans Lyon porté par les eaux noires de la Saône. Sur l’embarcation, des torches enflammées, une croix de bois, un corps mutilé et orné d’un délicat dessin d’orchidée. Le crucifié de la Saône, macabre et fantasmatique mise en scène, devient le défi du commandant Alain Dubak et de son équipe de la police criminelle. Six enquêteurs face à l’affaire la plus spectaculaire qu’ait connu la ville, soumis à l’excitation des médias, acculés par leur hiérarchie à trouver des réponses. Vite. S’engage alors une course contre la montre pour stopper un tueur qui les contraindra à aller à l’encontre de toutes les règles et de leurs convictions les plus profondes. Porté par la plume brillante et explosive de François Médéline, L’Ange rouge invite son lecteur à une plongée hallucinée parmi les ombres de la ville et les âmes blessées qui s’y débattent.

  • Né en 1977 dans la région lyonnaise, François Médéline vit dans la Drôme. Spécialiste de sociologie politique et de linguistique, il a été plume, conseiller, directeur de la communication et directeur de cabinet de plusieurs élus. Scénariste, romancier, il est l’auteur de sept livres.
    • François Médéline, La Résistance des matériaux
    • François Médéline, La Politique du tumulte
    • François Médéline, Tuer Jupiter
    • François Médéline, Les Rêves de guerre
  • Revue de presse
    On ne lâche pas le roman avant d’avoir dévoré les 506 pages qu’il contient.
    L’imposante Mamy et ses boys du SRPJ sont sur les crocs !
    Spectaculaire.
    François Médéline, utilisant tous les passages obligés du polar de procédure, propose un livre paradoxalement fort original.
    Un monde hallucinant de noirceur qui tient le lecteur en haleine jusqu’à la dernière ligne.
    Une écriture rock, un rythme efficace.
    Le rythme est sans faille et l’intrigue portée par une plume brillante, qui n’est pas sans rappeler les grands maitres américains du genre. Avec ce thriller, François Médéline nous promet une belle nuit blanche. Et on en redemande.
    Un roman noir à l’Américaine !
    Puissant et cinglant, François Médéline a le sens de la punchline.
    Ce roman est sans aucun doute à placer dans le top 10 des thrillers à lire de la rentrée !
    Ce thriller, c’est de la dynamite ! François Médéline fait voler en éclats les stéréotypes et renouvelle le genre en majesté.
    Un thriller à l’américaine où François Médéline nous entraîne avec un rythme effrené dans une série de fausses mais aussi de vraies pistes. Plus qu’un simple combat du bien contre le mal, il nous montre que l’humanité quoiqu’il arrive reste toujours brisée, fragile et meurtrie...
    Un polar addictif, que l’on a du mal à quitter.
    Une plongée hallucinée parmi les ombres de la ville et les âmes blessées qui s’y débattent.
  • Un rythme saccadé et tranchant comme une kalashnikov, une galerie d’écorchés vifs, chez Médéline flics, assassins, comme victimes ne sont pas des anges. Survolté ! 
    François Médéline donne une leçon d’amour du genre, d’amour du noir et du style. On dit souvent de lui : Le Ellroy Français. Personnellement, je trouve que le Dog n’a pas écrit un livre comme celui-ci depuis longtemps...
    Un rythme d’enfer pour une enquête menée par un flic borderline entouré d’une fine équipe...
    Cet Ange rouge déploie ses ailes sur 500 pages de pur roman noir qui se lisent quasiment d’une traite. Une réussite impeccable dont François Médéline déroule l’intrigue avec une maîtrise jamais prise en défaut. Bref, un roman à ne pas laisser passer qui a de grandes chances de se retrouver parmi les favoris de cette année.
    François Médéline ne le cache pas : il a été élevé à James Ellroy. Et nous, ce genre d’inspiration on aime bien ! Et de fait, cet Ange rouge nous happe, nous tape et ne nous lâche pas. Ok, ça secoue, mais on ne va pas s’en plaindre parce que des polars de cet acabit on n’en a pas tous les jours. Accrochez vos ceintures !
    Un polar très efficace, une plongée hallucinée dans les nuits lyonnaises ou sévit un serial-killer aux mises en scène macabres. Mais aussi, et surtout, une histoire de flics, « des flics qui ressemblent à des truands au bout de vingt ans de boite »… Très sombre, une histoire ou le noir s’infiltre partout.
  • téléchargez l’extrait

    Le hors-bord de la brigade fluviale s’est élancé sur le Rhône. Mamy était calée sur la banquette en skaï vers la poupe. Le vent a fait virevolter sa queuede rat dans la nuque complètement 1988. C’est inscrit Nicole Piroli sur sa carte d’identité, mais tout le monde l’appelle Mamy. Elle est capitaine. Elle n’a pas de passeport car elle n’a jamais quitté le territoire national. C’est une mère pour tous les zozos du groupe que je dirige à la crim’ mais elle est aussi plus que ça. Les gens qui ne la connaissent pas voient un Golgoth d’un mètre quatre-vingt-deux et quatre-vingt-dix kilos à tendance boulimique. Moi, je vois qu’elle cuisine mieux que personne, qu’elle ne me drague pas, qu’elle est veuve, sans enfants et prétendument médium, ce qui est un package très utile quand on jobe à la Police Judiciaire. Elle doit prendre sa retraite depuis longtemps, prédestinée qu’elle est à se finir à la bière éventée et au whisky bas de gamme, ce qui assurera une continuité avec son boulot de flic : les crimes ont besoin de boîtes de strip-tease et d’alcool.

    Mamy était là sur ce hors-bord qui nous menait au fond d’une nuit de printemps. Un air de ras-le-bol s’accrochait à seslèvres. J’ai louché sur le bout orange de sa Gauloise avec mon œil droit. Le gauche ne fonctionne pas vraiment. Je suis né borgne même si ça ne se voit pas. J’ai fixé les fils de tabac incandescents. J’ai oublié ses yeux de chien voilés de gris et son nez épaté de boxeuse.J’ai dû sourire. Weber a dit :

    - Vous vous marrerez moins tout à l’heure, Dubak !

    La coque du bateau a heurté une vague plus haute que les autres. Weber a donné un coup de barre à tribord pour rejoindre les eaux plus calmes de la Saône. Les semelles de mes Timberlands ont décollé. J’ai atterri sous le regard ressuscité de Mamy dans les bras de la fille blonde dont je n’arrivais pas à fantasmer le petit cul depuis un trop long moment déjà. Le hors-bord a débuté sa longue courbe. Il a contourné la pointe de la Presqu’île. La fille a dit :

    - Vous pourriez y mettre du vôtre, commandant.

    Elle m’a souri, les filles me sourient tout le temps. J’ai comme un pouvoir magnétique. Je m’en passerais bien. Weber a actionné la poignée d’accélérateur. La pointe du hors-bord s’est enfoncée. J’ai glissé vers la proue. Je me suis remis sur pieds. L’embarcation s’est engouffrée sous le pont Pasteur. Ses pylônes ont vibré sous le poids des engins qui dévalaient l’A7. Une locomotive tractait un chargement de voitures. Le conducteur a klaxonné à l’approche du tunnel qui s’engage sous la colline pour ressortir à Oullins. J’ai repéré notre bâtiment. L’entrepôt désaffecté du port Rambaud que Mamy mobilise quand il y a urgence à faire parler un suspect. La fille me souriait encore, connement.

    Elle a braqué le projecteur sur moi. J’ai plissé les paupières. J’ai agrippé une poignée en métal. J’ai pivoté. J’ai discerné la rive droite. Je n’avais jamais vu la ville comme ça. A l’ouest, les lumières dansaient sur le flanc de la colline, derrière les bosquets, c’étaient les maisons des riches ; plus haut, de grands immeubles genre blockhaus dominaient la ville ; à l’est, le port se répandait comme une ombre sur une terre vierge et cotonneuse, succession anarchique de bâtiments en béton et de des grues rouillées culminant par-dessus des lampadaires, des entrepôts. De petites péniches d’habitation étaient amarrées le long du quai, entre d’énormes péniches commerciales. La fille a dirigé le projecteur sur un point qui clignotait dans le mistral de Lyon, cent mètres au Nord. Weber s’est tourné vers Mamy:

    - On arrive. C’est pas joli à voir, capitaine.

    Mamy l’a ignoré. Elle a lancé son mégot dans l’eau.

    Les gyrophares des cars de CRS ont balayé les deux-cent-cinquante personnes tenues à distance derrière une banderole en plastique jaune par des gros bras casqués-matraqués en tenue de combat. Le quai Rambaud n’était plus un bout de friche sur lequel les péniches chargeaient et déchargeaient dans la journée. Ce n’était plus le cimetière des illusions d’une trentaine de prostitués blacks qui y stationnaient leurs camionnettes pour les commerciaux, les routiers et les pervers, tous les jours et toutes les nuits.

    Le hors-bord a remonté la rivière à quatre nœuds. J’ai deviné la silhouette de Jacques Gardan. Gardan ne voyait rien d’autre que son terrain d’investigation. Il était emmailloté dans sa combinaison. Il procédait sous le mitraillage des flashes de deux techniciens de la police scientifique, prélevait des échantillons sur la barque.

    Weber a coupé les gaz. Le hors-bord a glissé sur l’eau. Les quatre torches se reflétaient à la surface de la Saône, plantées aux extrémités d’une croix de trois mètres. Les poignets et les chevilles du cadavre étaient ligotés au bois avec une corde en nylon. J’ai baissé le regard sur les jambes. Le moteur du hors-bord a crachoté. J’ai entraperçu les rubans verts peints sur la peau, le bas-ventre musclé. J’ai fermé les yeux. Le sexe et les testicules étaient scalpés. Mon œil voulait voir. J’ai entrepris l’ascension. J’ai détouré une fleur de son fond rose pâle. J’ai longé les veinules vaporeuses, rouges. La face était lacérée, la chair à vif. Weber a dit :

    - Je vous avais prévenu, commandant…

    - On n’est pas au cinéma, Weber. Accostez, maintenant.

    J’ai humé l’air, l’odeur de pétrole. J’ai repris mon souffle. J’ai calmé les palpitations de mon muscle cardiaque par de longues inspirations. Le hors-bord tanguait. La barque tanguait. Jacques Gardan luttait. J’ai dit :

    - Fais attention de ne pas tomber !

    Le hors-bord a remonté le courant. Gardan a continué à gratter. Il a enfilé les indices dans des sachets en plastique. Il les a fait passer à un gars vêtu avec la même combinaison, le même masque, les mêmes gants, les mêmes protections de chaussures. Weber a esquissé un sourire. J’ai dit :

    - Qu’est-ce que vous faites, Weber ? Accostez.

    La fille ne souriait plus. Elle a dit :

    - C’est bon, commandant. On n’a pas l’habitude de voir ce genre de choses. Faites pas chier.

    Mamy a murmuré. Elle a le chic pour les incantations spirites.

    - Il avait une mère, une sœur.

    Elle avait les yeux fermés. Elle parlait du cadavre.

    Le capitaine Pierre Weber a accosté cent mètres plus haut, à la station de ravitaillement British Petroleum. On aurait pu sauter du hors-bord avant mais il nous a largués loin. Il avait passé plus d’une heure avec la fille, le lieutenant Emilie Braud, à remorquer la barque qui avait achevé sa course sur un pylône du pont Kitchener, jusqu’ici. L’embarcation avait été repérée à Vaise. Les fantômes l’avaient suivie. Les fantômes avaient descendu la Saône sur plus d’un kilomètre. Ils étaient là désormais, derrière les banderoles qui délimitaient la zone de sécurité. La moitié d’une compagnie de CRS encerclait le périmètre. L’autre moitié délimitaitune seconde zone plus étanche avec des barrières métalliques. Les journalistes se mêlaient aux prostituées. Les cadreurs avaient grimpé sur leurs estafettes. Les plus téméraires étaient suspendus en haut des lampadaires qui diffusaient une lumière jaune. Les camions-régies de Canal + et M6 étaient sur place. Un reporter de Télé Lyon Métropole tentait de forcer le passage. Les Bleus de la police municipale et de la nationale géraient. Des scooters, des mobylettes, des R21 Break tricolores, des camionnettes Peugeot et Citroën, des motos BMW grosses cylindrées bloquaient tous les accès.

    Mamy est passée devant. Elle a grimpé une échelle rouillée. Je l’ai suivie. Elle a marché comme un bûcheron. Nos semelles ont raclé les pavés autobloquants qui recouvraient le parking. Elle s’est tordue la cheville dans l’un des rails qui filent jusqu’à la zone portuaire. Elle a frotté la languette de sa Dr Martens avec la semelle de l’autre chaussure, pour mieux la salir. Elle a bégayé un juron. Elle a avalé deux Dragibus récupérés au fond de sa poche de blouson. Elle a allumé une nouvelle Gauloise. Une façon comme une autre de réguler sa glycémie et son espérance de vie.

    Paul Giroux parlementait avec le commissaire divisionnaire. Giroux était commissaire principal et mon supérieur hiérarchique depuis trois ans. Il se sapait comme un avocat de seconde zone. Il arborait un bouc.La crête de son nez était chaussée de lunettes à montures dorées. Il portait une chemisette écossaise qui se tendait sur son ventre flasque. Son velours à grosses côtes moulait ses cuisses et cherchait ses minuscules mollets sans les trouver avant de tomber sur ses mocassins Sebago. J’ai serré la main grasse qu’il m’a tendue puis celle du divisionnaire. Le commissaire Vernier rivalisait avec Giroux sur l’échelle C. Il était directeur du SRPJ. Son costume bleu marine avait du mal à recouvrir ses épaules. Sa cravate bariolée perroquets lui oppressait la glotte. Son crâne était lisse. Il le rasait au Wilkinson trois lames deux fois par semaine. Le commissaire divisionnaire était une huile. Il était fait pour ça, être une huile de la police, sermonner les troupes, se fier aux statistiques.

    - Virez-moi ce rictus, Dubak.

    Giroux m’a flingué desyeux. Mamy a dit :

    - Pourquoi on est là ?

    Il l’a ignorée.

    - Le crucifié est pour votre groupe, Dubak. On s’est mis d’accord avec le procureur. Il ne va pas tarder.

    J’ai fixé Giroux, le commissaire divisionnaire, Giroux.

    - Le job est pour toi et ton groupe. C’est un homicide, un crime de cinglé. Il faut de l’obstination. Et cesse de ressasser le passé, tu vas finir aigri.

    Giroux a calibré le divisionnaire.

    - Je mets Bernard dessus sinon, commissaire. Si c’était que de moi…

    Mamy a dit :

    - On se serait déjà fait virer, pas vrai ?

    Ce n’était pas vrai. Les chefs avaient décidé de regrouper tous les extravertis et les introvertis de la boutique dans le même groupe. Nous avions foiré une grosse enquête. Nous sommes dociles. Nous respections globalement les procédures grâce à Véronique et Laurent, les meilleurs éléments de ma troupe. Véronique était numéro 3 : c’était la procédurière. Laurent était numéro 4 : c’était l’adjoint de la procédurière.

    J’ai agrippé Mamy par la manche. Elle aurait pu terrasser Giroux avec son petit orteil. Mamy est une obsessionnelle de la french manucure. Elle se fait les ongles des pieds. Elle a un trouble compulsif : il faut qu’elle frappe. Elle a une spéciale qu’elle a éprouvée sur les rings quand elle était championne de France des Super Welters. C’était avant d’être grosse. La frappe au sternum, en direct du droit. Elle termine toujours ses cibles à moitié asphyxiées avec les pieds, pour ne pas s’abimer les mains.

    Elle a pompé sur sa Gauloise. Elle m’a glissé un clin d’œil. C’est dans ces moments-là que je l’aime. J’aime son regard moitié espiègle moitié démoniaque. Un nuage de fumée a décampé par-dessus son épaule. Elle a décoché à Giroux et au commissaire divisionnaire son sourire à tomber, celui d’avant la mort de Christian, quand elle n’avait ni sa coupe en brosse, ni sa queuede rat tressée dans le cou, qu’elle pesait quarante kilos de moins. Elle a toujours ses yeux de chats, jaunes, et son sourire secret. Le reste, elle s’est jurée de le perdre le jour de la mise en bière, une promesse entre elle et elle. Comme si le décès de son âme sœur l’avait condamnée à ne plus vraiment être une femme et à s’habiller en noir de la tête aux pieds. Elle a rencontré Christian à quinze ans. Elle a été fidèle durant trente-et-six ans. A part les heures passées au club de foot de Saint-Priest à s’occuper des mioches après l’Intermarché où il était magasinier, Christian a tout fait pour rendre Mamy heureuse. Un semi-remorque a décidé de traverser le terreplein central du périphérique un jour de brouillard. Trois gosses du club y sont passés avec lui.

    - Messieurs, merci pour le job, a dit Mamy.

    Des hurlements se sont élevés plus loin, derrière des buissons et des cannisses en bordure de Saône. Une bouteille d’Orangina trônait sur le toit d’une caravane. On a avancé jusqu’à entendre les grincements d’un étendoir à linge qui occupait la moitié d’une cour de dix mètres carrés. Je me suis placé sous une enseigne publicitaire Stella Artois plantée au sommet de deux poteaux en béton volé à EDF. J’ai aperçu deux Bleus qui interrogeaient un couple. Le mari était un petit type avec un pull-over bordeaux. Sa femme obèse était comprimée dans une robe de chambre rose. Le petit type était calme. Sa femme hurlait des Je l’a vu, je vous dis, c’est le tout-puissant qui l’a envoyé, c’est notre seigneur. Le type m’a repéré. Il m’a dévisagé avec ses yeux bleus, translucides. Il a fait une clef de bras à sa femme. Il m’a désigné de sa main libre. Il a hurlé des Ah Satan, au secours, c’est pour nous ! Il s’est aplati au sol. Il a disparu en rampant sous la caravane. La femme s’est réfugiée contre les deux Bleus qui ont reculé pour ne pas la toucher.

    - Satan, c’est lui !

    J’ai avancé dans la cour. Mamy m’a suivi. Elle mâchonnait un bonbon crocodile, sûrement un vert, c’est ceux qu’elle préfère. Les deux Bleus ont pivoté vers nous pour chercher du renfort.

    - Je suis le commandant Dubak, madame. Taisez-vous maintenant, sinon je vous fais embarquer.

    Les deux Bleus se sont dressés comme des poutrelles. Ils m’ont salué. La folle m’a calibré.

    - Pardon, monsieur l’inspecteur, pardon, je…

    Elle n’a pas achevé sa phrase. Elle a saisi le manche d’une pelle à neige. Elle a frappé à l’aveuglette sous la caravane. A la cinquième tentative, son mari a gémi. Mamy a dit :

    - Vous allez la laisser le tuer ?

    Les Bleus ont tâtonné. Le plus grand a pris un coup de pelle dans les tibias. Il a gueulé. Il a fait machine arrière en se tenant la jambe. L’autre a sauté sur le dos de la grosse qui remuait comme une chenille. Il a tenu bon. Mamy a fait quatre pas. Elle a ajusté la femme à mi-distance. Elle lui a mis une gifle dans le front. L’autre s’est effondrée devant la porte de son habitation. Mamy s’est penchée sur elle.

    - Rentre là-dedans, ma chérie, et n’en ressors pas avant le soleil. Tu fatigues tout le monde, sauf toi.

    Elle a souri. Elle a ouvert l’autre main. Il y avait un rouleau de réglisse dans sa paume. Mamy déteste le réglisse.

    - Prends.

    La bonne femme a saisi le rouleau, par crainte d’en prendre une deuxième. Elle l’a fourré entier dans sa bouche. Mamy est l’incarnation univoque de la théorie du méchant flic et du gentil flic.

    Jacques Gardan s’est hissé sur le quai avec l’aide d’un grand, c’était Cyril. Il m’a salué de la tête. Mamy a filé dans leur direction. Elle a fait la bise à Géraldine Galtier qui rangeait les outils et les échantillons dans le camion de la police technique. Galtier fait partie de la catégorie des filles qui me draguent trop. Elle est mièvre. Sans compter que c’est un fil de fer d’un mètre soixante-quinze qui manque de pulpe. J’ai foncé sur Gardan.

    - Je vais jeter un œil.

    - Il est à toi, Alain. Fais-en ce que tu veux. Les gars de l’IML doivent le ramasser sous peu.

    J’ai enfilé une blouse, des gants et des protections pour mes chaussures. Gardan s’en est délesté. J’ai ajusté un masque sur ma bouche. J’ai sauté sur le pont d’une péniche amarrée sur le quai. J’ai atterri sur un monticule de graviers. Gardan s’est lancé. Il a glissé à l’atterrissage. Il s’est redressé. Il a épousseté son jeans. Il m’a rejoint à la proue. Il a empoigné mes deux mains. Il m’a fait glisser le long de la coque.

    - Content que tu sois de retour, Alain.

    C’était une mauvaise idée. Les raviolis du midi me sont remontés aux amygdales. La croix était fixée à l’horizontale. Une croix en bois brut, clair. Les quatre flambeaux étaient cloués à la coque. La mort se mélangeait à l’air chargé de vase et de rivière. Je me suis agrippé à la croix. J’ai effleuré les tibias. J’ai fait deux pas chassés pour longer les fils verts. Les fils verts montaient les cuisses jusqu’à l’abdomen. Ils étaient pâles, assortis à la peau rigide que j’ai devinée froide sous le latex.

    J’ai fixé la plaie entre les cuisses. Avec mon œil et mes morts. J’ai serré les dents. Un ravioli haché est arrivé dans ma bouche. Je me suis accroupi. J’ai relevé le masque. J’ai craché la mixture dans la Saône. J’ai bloqué ma respiration.

    Je me suis redressé. L’orchidée flottait. J’ai discerné son cœur quipompait le sang des chevilles à vif grâce à des tiges aériennes aux couleurs de l’espérance.

    J’ai scruté les deux billes de verre azur comme enfoncées au marteau dans le fond des orbites. J’ai scruté les joues creuses, les pommettes taillées, les bouts de chair tailladés, la graisse brillante, le sang séché. J’ai vu la lame glisser sous la peau, couper les nerfs. Le masque filtrait l’air frais à l’entrée de ma bouche. Il bloquait l’air chaud qui puait à la sortie.

    C’est là que j’ai contemplé le ciel. Et j’ai respiré.

  • La rentrée des auteurs en Auvergne-Rhône-Alpes 2020 - François Médéline et Arthur Nesnidal

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