Franck Bouysse, Grossir le ciel
Roman
240 pages
a paru le 24 mai 2018
ISBN 978-2-3588-7257-7
Édition augmentée
Franck Bouysse

Grossir le ciel

Roman
240 pages a paru le 24 mai 2018 ISBN 978-2-3588-7257-7
Édition augmentée
Roman
240 pages a paru le 24 mai 2018 ISBN 978-2-3588-7257-7
Édition augmentée

LAURÉAT DE SEPT PRIX LITTÉRAIRES

Gus vit depuis toujours aux Doges, un hameau perdu au cœur des Cévennes. Il n’a plus vraiment de famille, à part Abel et Mars. Mais qui pourrait raisonnablement affirmer qu’un voisin et un chien représentent une vraie famille ? Juste mieux que rien. En ce froid matin de janvier Gus s’approche de la ferme d’Abel avec son calibre seize : il a repéré du gibier. Mais alors qu’il s’apprête à tirer, il entend un coup de feu. Gus se dira plus tard qu’il n’aurait jamais dû baisser les yeux vers la ferme, qu’il fallait ignorer cette grosse tache dans la neige. Que s’est-il passé chez Abel ?

Grossir le ciel, roman noir fulgurant, a imposé Franck Bouysse parmi les incontournables de la littérature française contemporaine.

  • Franck Bouysse, né en 1965 à Brive-la-Gaillarde, se lance dans l’écriture en 2004. Son œuvre publiée à La Manufacture avec Grossir le ciel en 2014, puis Plateau,Glaise et Né d’aucune femme en 2019 rencontrent un large succès et remportent de nombreux prix littéraires.
    • Franck Bouysse, Glaise
    • Franck Bouysse, Né d'aucune femme
    • Franck Bouysse, Vagabond
    • Franck Bouysse, Plateau
  • Cette nouvelle édition de Grossir le ciel est enrichie d’une préface de l’auteur ainsi que d’extraits de textes inédits revenant sur la genèse du personnage de Gus.

    Ce roman a reçu de nombreuses distinctions parmi lesquelles le prix SNCF du polar 2017, le Prix des lecteurs de Lunel 2017, le prix Polars Pourpres 2016, le prix Sud-Ouest 2016, le Prix des lecteurs de Villeneuve-lez-Avignon 2015, le prix Calibre 47 2015, le prix Michel-Lebrun 2015.

  • Ne passez pas à côté de ce roman si envoûtant. Un grand moment de lecture.
    Quelque part entre Larry Brown et Depardon, la langue de Bouysse roule et claque comme l’orage sur la terre trop dur. Pour les amoureux de la belle langue, de la vie rurale et/ou de forts romans noirs. 
    De la nature, de l’humain...
    Un polar poético-rural, une langue à couper le souffle ! Un régal de lecture.
    Franck Bouysse nous transporte au milieu des Cévennes dans une ambiance digne des plus grands romans de Simenon ou d’un film de Chabrol.
    Une histoire infernale, un livre infernal, un suspense infernal, un cocktail infernal !
    Un homme seul dans sa ferme...mais Franck Bouysse réussit à nous faire vibrer pour ce personnage, cet univers ! Super !
    Un huis-clos vénéneux.
    Au fin fond des Cévennes... dans une ambiance glacée, Franck Bouysse développe son style remarquable et réussite à faire parler les taiseux... Génial !
  • téléchargez l’extrait
    C’était une drôle de journée, une de celles qui vous font quitter l’endroit où vous étiez assis depuis toujours sans vous demander votre avis. Si vous aviez pris le temps d’attraper une carte, puis de tracer une ligne droite entre Alès et Mende, vous seriez à coup sûr passé par ce coin paumé des Cévennes.
    Un lieu-dit appelé Les Doges, avec deux fermes éloignées de quelques centaines de mètres, de grands espaces, des montagnes, des forêts, quelques prairies, de la neige une partie de l’année, et de la roche pour poser le tout. Il y avait aussi des couleurs qui disaient les saisons, des animaux, et puis des humains, qui tour à tour espéraient et désespéraient, comme des enfants battant le fer de leurs rêves, avec la même révolte enchâssée dans le coeur, les mêmes luttes à mener, qui font les victoires éphémères et les défaites éternelles. Le hameau le plus proche s’appelait Grizac, situé sur la commune du Pont-de-Montvert. Une route les reliait et devait bien mener quelque part, si on prenait le temps de s’y attarder. Gus vivait ici, depuis plus de cinquante hivers. C’était en décembre que ce pays l’avait pris et que sa mère l’avait craché sur des draps durs et épais comme des planches de châtaignier, sans qu’il se sente dans l’obligation de crier, comme pour marquer son empreinte désastreuse dans un corps ancestral, une manière de se cogner à la solitude, déjà, dans ce moment qui le faisait devenir quelqu’un par la simple entrée d’une coulée d’air dans sa bouche tordue. Des gens diraient plus tard qu’on n’aurait pas dû le secouer comme on l’avait fait pour lui extorquer le fameux cri et que, si dans le futur il s’était mis à parler plus volontiers aux animaux qu’aux hommes, c’était un peu à cause de ce retard à l’allumage. Mais qui peut dire ce qui serait advenu si tout s’était déroulé normalement ? Et qui aurait pu soutenir que, justement, la volonté du Tout-Puissant n’était pas de changer la donne pour Gus, et que cette singularité n’augurait pas d’un destin supérieur ? Ce qui était certain, c’était que même les âmes les plus charitables ne se gênaient pas pour montrer du doigt ce poisson-là qui nageait à contre-courant depuis sa naissance.
    La ferme de Gus était pinquée dans la partie la plus haute des Doges, à une dizaine de kilomètres à vol d’oiseau du Pont-de-Montvert. Elle était constituée de vieux bâtiments, de terres cultivées et de taillis acoquinés en forêt de châtaigniers, de pins, de chênes, de hêtres et de mélèzes, pour l’essentiel.
    Le tout s’étendait sur vingt-quatre hectares. Pour être précis, il faudrait dire qu’entre Les Doges et le village les kilomètres ne duraient pas pareil, selon qu’on était en bonne ou en mauvaise saison. Les distances, dans ce coin-là, c’est du temps, pas des mètres. Et Gus n’était pas un oiseau.
    Des légendes couraient depuis toujours sur Les Doges et sa forêt bénie. Il se disait que le nom qu’on lui avait donné était l’exact contrepoint de ce qui s’y était passé, si tant est qu’on puisse imaginer qu’un lieu plutôt qu’un autre puisse attirer le malheur. Depuis, on avait oublié les légendes et conservé le
    nom. D’autres chats à fouetter. Que Gus aimât ce pays serait beaucoup dire, mais comme il n’avait rien connu d’autre, il s’était fait à l’idée d’y finir ses jours. Pas malheureux, pas vraiment heureux non plus. Sa place dans le vaste ordonnancement de l’univers, étant donné qu’il était incapable d’en imaginer une autre. À la réflexion, il n’aurait sans doute pas parié que beaucoup d’hommes puissent en dire autant, et ce n’était pas donné à tout le monde d’avoir une chaise à soi où poser ses fesses. Il s’était toujours satisfait de ce qu’il possédait, pas par choix, ni par conviction, mais ce qu’on lui avait appris, c’était justement que rien ne devait changer, que toutes les créations avaient été réfléchies par une puissance qui dépassait les hommes en tout, ceux d’ici et ceux d’ailleurs. Les envies de Gus étaient donc aussi simples que de boire quelques verres de vin quand il en ressentait le besoin et de s’occuper des
    bêtes qu’il élevait, avec passion. Tout ce qu’il avait jamais su faire, ce qu’on attendait de lui.
    C’était sa grand-mère paternelle qui avait appris à Gus tout ce qu’il savait aujourd’hui de cette nature exigeante, ce qu’elle pouvait donner, à quel moment, et aussi ce qu’elle pouvait prendre. La grand-mère lui avait toujours dit que le bonheur était comme la promesse de l’aube, si l’on s’en tient à la promesse sans s’obstiner à vouloir deviner ce qu’on aurait envie qu’elle révélât à l’avance. C’était le genre de propos alambiqués dont elle était coutumière, et qui sonnaient étrangement dans sa bouche, comme des mises en garde, l’air de rien. Gus la soupçonnait parfois d’être seulement garante de la question posée, et sûrement pas d’une réponse qu’elle n’avait manifestement pas dans sa manche.
    Le grand-père, Gus ne l’avait pas connu. Il paraissait que ç’avait été quelqu’un, en son temps, pas facile à manoeuvrer, capable de se bagarrer pour asseoir son point de vue, et accessoirement pour faire sortir la rage qui se trouvait au fond de lui. À en croire la rumeur, personne n’avait été capable de lui tenir tête. En quelque sorte, il n’avait pas connu la défaite.
    Et c’était justement ce qui avait causé sa perte, le jour où il avait tourné le dos à ce taureau et qu’il s’était fait broyer la cage thoracique entre le mur de la grange et le crâne du bovin. La bête n’en était pas restée là, elle s’était déchaînée à coups de cornes sur cet homme qui l’avait souvent battu pour qu’il obéisse, jusqu’au moment précis où le grand-père avait baissé sa garde, où tout avait basculé. Pourtant, chaque paysan sait qu’on ne doit jamais faire confiance à un animal aussi puissant qu’un taureau. On disait que le grand-père n’avait pas saigné, que la bouillie était restée bien en dedans de lui, à part un petit filet de sang, qui avait fini par sortir du coin de sa bouche, mais il ne respirait déjà plus.
    Le père de Gus était adolescent au moment du drame. Il avait alors pris la ferme en main avec les mêmes arguments que son père, sauf qu’il était loin d’être aussi costaud physiquement et dans sa tête. La grand-mère avait obéi, vu qu’elle n’avait jamais été du genre à s’imposer en quoi que ce soit.
    S’il y a une chose à rajouter, c’était le penchant prononcé du père de Gus pour l’alcool. Une gnôle distillée dans la vallée par deux frères jumeaux, surnommés Les Mickey, à cause de leurs oreilles démesurées. Leur breuvage ressemblait plus à de l’urine de boeuf fermentée qu’à de l’eau-de-vie. Il faut croire que, tant qu’on n’a pas goûté à mieux que ce qu’on a sous la main, on se trouve des raisons d’apprécier sa pitance, peut-être même de ne pas du tout en chercher d’autre. Sûrement un des secrets du contentement, sans pour autant envisager le bonheur, car ce genre de sentiment n’avait manifestement jamais mis les pieds aux Doges. Un drôle de pays de brutes et de taiseux. Et comment pourrait-il en être autrement dans cette région où le diable en personne ne prenait pas la peine de choisir les âmes, et se servait sans se soucier de négocier avec la concurrence. La plupart des gens du coin se rendaient pourtant au temple, le dimanche, espérant certainement alléger un peu leur fardeau. Le seul trésor qu’ils côtoyaient chaque jour était en même temps l’expression de leur calvaire, cette nature majestueuse et sournoise, pareille à une femme fatale impossible à oublier.
    Comme chaque jour, Gus s’était levé tôt. Jusque-là, il enfilait ses journées les unes à la suite des autres, comme des perles sur un collier, la précédente ressemblant à la suivante ; et ce jour de janvier 2006, le vingt-deux pour être précis, c’était une drôle de perle qu’il s’apprêtait à enfiler, une qui ne ressemblait pas vraiment à toutes les autres.
  • Franck Bouysse - Grossir le ciel

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    SMEP 2016 - Rencontre avec Franck Bouysse