Laurent Guillaume &  Collectif Africa Connection, Africa connection
Document
256 pages
a paru le 23 mai 2019
ISBN 978-2-3588-7493-9
Laurent Guillaume &  Collectif Africa Connection

Africa connection

La criminalité organisée en Afrique
Document
256 pages a paru le 23 mai 2019 ISBN 978-2-3588-7493-9
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256 pages a paru le 23 mai 2019 ISBN 978-2-3588-7493-9

Trafics d’êtres humains, de stupéfiants ou d’armes, exploitation des migrants ou des matières premières : la criminalité organisée en Afrique est née des désordres de la décolonisation, a grandi sous la guerre froide puis avec la mondialisation. Elle constitue aujourd’hui le précipité de ce que Michel Foucault a qualifié d’illégalisme d’État, véritable gangrène d’un continent.
Laurent Guillaume, ancien policier aujourd’hui consultant pour divers organismes internationaux, a réuni pour cet ouvrage des spécialistes universitaires et consultants de terrain. Dans cette étude unique, ils nous proposent de découvrir la frontière des trafics, entre légalité et illégalité. Ils éclairent les dynamiques sociales et politiques qui animent ces réseaux pour comprendre leur organisation matérielle et humaine.

  • Né en 1967 en Meurthe-et-Moselle, Laurent Guillaume entre en 1993 à l’école de police. Cette expérience lui inspirera son premier roman, Mako. En 2012, il quitte la police pour se consacrer à l’écriture de romans policiers et de scénarios. Il a notamment travaillé pour Canal plus.
    Laurent Guillaume a réuni pour cet ouvrage : Jean Pierre Bat, historien, Georges Berghezan, chargé de recherche au Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP) de Bruxelles, Michel Goya, historien militaire, Sonia Le Gouriellec, docteur en Science Politique, enseignante en Droit Constitutionnel et Institutions politiques à l’Université Paris V, Axel Klein, Docteur en anthropologie sociale, consultant dans le domaine de lutte contre le trafic des stupéfiants et Antonin Tisseron, consultant à l’ONUDC spécialisé dans la lutte contre le trafic de médicaments.
    • Laurent Guillaume, Doux comme la mort
  • Laurent Guillaume a réuni pour cet ouvrage : Jean Pierre Bat, historien, Georges Berghezan, chargé de recherche au Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP) de Bruxelles, Michel Goya, historien militaire, Sonia Le Gouriellec, docteur en Science Politique, enseignante en Droit Constitutionnel et Institutions politiques à l’Université Paris V, Axel Klein, Docteur en anthropologie sociale, consultant dans le domaine de lutte contre le trafic des stupéfiants et Antonin Tisseron, consultant à l’ONUDC spécialisé dans la lutte contre le trafic de médicaments .

  • Revue de presse
    Un ouvrage informé sur les réseaux et les trafics illégaux en Afrique.
    Écrit par des représentants de l’armée et de la police ou par des chercheurs, cet ouvrage au contenu passe de la drogue aux migrations, du trafic d’armes à la répression africaine des mafias.
    Le tableau complet de l’Afrique des marges.
  • téléchargez l’extrait

    — Mon ami Toubab voudrait des vitamines. Ces temps-ci, il est un peu fatigué.
    Lassana sourit à la vieille et se penche pour être à son niveau. Elle est assisesur un parpaing qui s’effrite. Tout autour, sur des draps crasseux posés à mêmele sol, il y a des dizaines deboîtes de médicaments aux emballages de couleursvives. On est tout près de la gare routière de Sogoniko, à Bamako - Mali. Àquelques centaines de mètres de l’avenue de l’OUA, des busrouillés qui roulenten crabe, des taxis collectifs cabossés, il y a un petit marché de rue. On ytrouve de tout : des fruits, des légumes, des gadgets chinois, des tee-shirtsde marque contrefaits,des lunettes de soleil Ray Ban ou Gucci contrefaites,des paires de baskets Nike ou Adidas contrefaites… Il y a également desofficines informelles que le petit peuple appelle « Pharmaciepar terre ».Ces vendeurs à la sauvette proposent des médicaments contrefaits eux aussi quipromettent de remédier à l’impuissance masculine, aux fatigues chroniques, auxrèglesdouloureuses. C’est devant une de ces pharmacies que je me tiens avecLassana, jeune flic de l’Office Central des Stupéfiants, habillé en civil. Lavieille me regarde d’un air perplexe. Elle sedemande ce qu’un blanc peut bienfaire dans son échoppe précaire. Elle mâchouille une branche de Gésè, soupireet ramasse une bouteille d’eau minérale – un bidon comme on dit enAfrique - lerécipient poussiéreux est plein de pilules rouges.
    — Il faut essayer un Rouget, c’est un « défatigant ».
    Lassana lui demande alors si elle a d’autres de ces défatigants, on ne saitjamais, le rouget pourrait ne pas avoir d’effet sur le blanc. La vieillefarfouille en maugréant dans son bazar etsort un second bidon remplit degélules jaunes pâles. Elle en sort deux auxquelles elle ajoute deux cachetsblancs pris dans un sac plastique noir.
    — Voilà, il doit prendre le jaune et le blanc en même temps.
    J’empoche le rouget, les blancs et les jaunes et je règle la vieille. Celame coûte 300 FCFA, soit 45 cents d’euro.
    Toujours accompagné de Lassana, je rentre à l’antenne de l’OCS situé nonloin de là, sur la rive droite du fleuve Niger. Dans le bureau des enquêteurs,je sors les « défatigants » de mapoche pendant que Lassana ouvre lamallette de détection chimique de produits stupéfiants. Nous testons nos achatsà la pharmacie par terre. Le rouget et le jaune réagissent positivement àlaméthamphétamine. La pilule blanche ne réagit pas, il s’avérera plus tard qu’ils’agit de Diclofénac, un anti-inflammatoire non stéroïdien. Les autresenquêteurs nous ont rejoint. Ilsregardent les tests positifs, l’air grave.
    — Voilà, les gars, c’est prouvé, vous avez de la Meth dans les rues deBamako, dis-je.

    Voilà plusieurs années que je travaille comme consultant pour diversorganismes internationaux. J’ai commencé comme coopérant français placé auprèsdes autorités maliennes de2007 à 2011. J’assistais les services d’enquête àBamako pour les affaires de lutte contre le crime organisé et le trafic destups. Depuis 2015, toujours dans le même domaine d’expertise, j’airejoint desorganismes internationaux en tant que consultant. L’essentiel de mes missionsconsiste à dispenser des formations aux unités qui concourent à la lutte contrele crime organisétransnational. Je mène également des missions d’audit deservices opérationnels dans toute l’Afrique de l’ouest et plus particulièrementdans les pays Sahéliens. Je pense avoir une assezbonne connaissance desproblématiques de crime organisé et de trafic international de stupéfiants danscette région. Je suis en première ligne pour décrire la menace qui pèse surl’Afrique del’ouest et du centre mais également sur l’ensemble du continent.Cette menace n’est pas récente, elle trouve ses racines dans des traficsanciens nés pendant la colonisation et qui ont pris uneampleur inédite audébut des années 2000. Son évolution a été anticipée avec beaucoup declairvoyance par Eric Fottorino en 1991, dans un livre intitulé La piste Blanche,dans lequel lejournaliste livre une vision sans concession des ravages du trafic de stups enAfrique noire. Il écrivait :

    « L’Afrique disparue, victime d’une foudroyante dérive des continents,et pourtant l’Afrique si proche, à quelques heures d’avion, toute noire de sesplaies. Les famines, les sécheresses,les criquets, les guérillas, ladéforestation, le sida, l’immigration ; l’Afrique s’enténèbre,s’appauvrit, elle devient morte au monde et ce spectre effraie l’Europe. »
    Il poursuit ainsi :
    « Avec un peu d’imagination pourtant, ce continent offre les traitsplacides et massifs d’une bonne tête d’éléphant. Un éléphant sans défense.Piquée dans sa corne (Éthiopie, Kenya,Égypte) par l’héroïne asiatique, touchéedans son flanc ouest par la cocaïne andine, l’Afrique est prise dans laseringue des internationaux de stupéfiants. Déstabilisée aussi par lessubstancespsychotropes, stimulants et antidépresseurs, faux médicaments etremèdes sous-dosés que prodiguent généreusement les laboratoires de la grandeEurope, de Bombay et de New Delhi, deLagos et de Pretoria.
    De quoi abattre un éléphant. »
    Force est de constater que ces lignes amères, 18 ans plus tard, n’ont rienperdu de leur force et de leur pertinence. La situation s’est même aggravée. Lenarcotrafic déstabilise desrégions entières, provoque et alimente de cruelsconflits, fait tomber des états, appauvrit les populations[1],les affame. C’est avant tout unproblème de géopolitique

    Quelques notions de base…

    Ladite géopolitique explique le trafic international des stupéfiants commeun rapport commercial nord-sud. Un commerce illicite et souterrain certes, maisun commerce tout demême qui répond à toutes les caractéristiques d’uneactivité marchande « classique », la clandestinité en plus. Troissubstances principales trustent le podium des drogues faisant l’objet d’untrafic international massif et pérenne : la cocaïne, l’héroïne et lecannabis. Les « big three ».Schématiquement, leszones de production sont situées dans les pays du tiers-mondeau Sud et les zones de consommation se trouvent dans les pays riches du Nord.Le cannabis, droguenaturelle par excellence (qui n’a pas subi detransformation par utilisation de substances chimiques) provientessentiellement du Maroc (zone du Rif) dans sa formede haschisch (résine decannabis), mais également du Liban, de l’Afghanistan, de la Colombie, du Ghana,du Mexique et de tout un tas d’autres pays en voie dedéveloppement.
    La cocaïne est produite essentiellement dans trois pays d’Amérique du Sud,situés dans la cordillère des Andes, la Colombie, le Pérou et la Bolivie. Lesopiacés (Opium, Morphine etHéroïne) proviennent pour la plupart d’entre eux d’Asiecentrale (Afghanistan, Pakistan, Iran). Ils sont cultivés dans une zone appeléecroissant d’or par opposition à l’autre zone deproduction en Asie duSud-est : le Triangle d’or comprenant le Laos, la Birmanie et laThaïlande. Il s’agit des deux principales drogues semi-naturelles (droguesissues de la transformationd’une plante naturelle par l’utilisation deprécurseurs chimiques).
    On voit bien que la culture de ces drogues naturelles ou semi-naturellesest liée à de véritables terroirs. Les trafics illicites dont elles fontl’objet suivent d’authentiques routes dontcertaines sont séculaires. La routede la soie, devenue route des Balkans relie l’Asie centrale à l’Europe parexemple. Ou encore, la route maritime convoyant la cocaïne par l’atlantiquenordpour finir en Europe. On pourrait presque croire que l’Afrique estépargnée. Elle n’est pas une zone de production (excepté pour le cannabis) et ellene se trouve pas sur les routesd’approvisionnement des « big three ».Hélas, les choses ne sont pas aussi simples. L’Afrique est depuis longtemps un élémentclé du trafic international des stupéfiants.

    [1] L’OCDE et l’ONU ont calculé que les trafics illicites– parmi lesquels le trafic de stupéfiants arrive en première position – font perdre 50 milliards de dollars de ressource rien que pour l’Afrique de l’Ouest.