Hiro Onoda, Au nom du Japon
Récit
320 pages
a paru le 6 février 2020
ISBN 978-2-3588-7597-4
Cahier photo
Hiro Onoda

Au nom du Japon

10 000 nuits dans la jungle
Récit
320 pages a paru le 6 février 2020 ISBN 978-2-3588-7597-4
Cahier photo
Récit
320 pages a paru le 6 février 2020 ISBN 978-2-3588-7597-4
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1945. La guerre est terminée, l’armistice est signé. Mais à ce moment précis, le jeune lieutenant Hiro Onoda, formé aux techniques de guérilla, est au cœur de la jungle sur l’île de Lubang dans les Philippines. Avec trois autres hommes, il s’est retrouvé isolé des troupes à l’issue des combats. Toute communication avec le reste du monde est coupée, les quatre Japonais sont cachés, prêts à se battre sans savoir que la paix est signée. Au fil des années, les compagnons d’Hiro Onoda disparaîtront et il demeurera, seul, guérillero isolé en territoire philippin, incapable d’accepter l’idée inconcevable que les Japonais se soient rendus. Pendant 29 ans, il survit dans la jungle. Pendant 29 ans il attend les ordres et il garde sa position. Pendant 29 ans, il mène sa guerre, au nom du Japon.
Ce récit incroyable est son histoire pour la première fois traduite en français. Une histoire d’honneur et d’engagement sans limite, de foi en l’âme supérieure d’une nation, une histoire de folie et survie.

  • Né en mars 1922, Hiro Onoda est un soldat japonais affecté sur l’ïle de Lubang dans les Philippines et qui refusa de croire à la reddition du Japon jusqu’en 1974. Il mourra en 2014.
  • Revue de presse
    Un témoignage ahurissant.
    On a jamais rien lu de tel !
    Ce livre se lit comme un roman d’aventures : l’histoire d’un Robinson en uniforme qui survit dans un environnement hostile mais aussi celle d’un Crusoé qui vivrait dans le déni de son naufrage.
    Une édifiante histoire !
    Une leçon de courage à méditer.
    Un récit incroyable.
    Un livre incroyable.

    Ce livre, enfin traduit en français - et fort bien traduit - se lit comme le plus captivant des romans d’aventures, une dystopie hallucinée, un conte métaphysique terrible et comique à la fois. Inoubliable.

    Au nom du Japon fait écarquiller les yeux du lecteur, trembler pour ce sous-lieutenant, rire ou pleurer de ses aventures rocambolesques.
    Délirant. Une histoire de cinglé, un livre absolument fascinant qui n’avait jamais été traduit en français : la chronique admirable de la folie humaine. 
    Livre fascinant, texte hallucinant. Une histoire incroyable.
    Immanquable.
    Le témoignage d’un soldat perdu...
  • téléchargez l’extrait

    J’étais caché dans les buissons, attendant que le temps passe. C’était un peu avant midi, le 9 mars 1974. Je me trouvais sur un coteau à environ deux heures de marche de Wakayama Point. J’avais l’intention d’attendre le moment précis de la fin de journée où l’on peut encore tout juste identifier un visage, puis de me rendre rapidement à Wakayama Point, d’une seule traite. La lumière du jour était synonyme de danger, mais s’il faisait trop sombre je ne serais peut-être pas en mesure de m’assurer que la personne que j’allais rencontrer était bien le major Taniguchi. Le crépuscule serait donc idéal pour couvrir ma fuite, si tel devait être le cas. Vers deux heures de l’après-midi, je suis prudemment sorti de ma cachette pour traverser le fleuve en amont du lieu de rendez-vous. Je me suis frayé un chemin à travers une palmeraie qui bordait le cours d’eau, avant d’arriver à un endroit où les habitants de l’île venaient chercher du bois de construction.

    Aux abords de la clairière, je me suis arrêté pour observer les alentours. Personne en vue. Je me suis dit que les ouvriers devaient avoir pris un jour de congé, mais pour plus de sécurité je me suis confectionné un camouflage avec des branches et des feuilles mortes avant de m’élancer dans cette zone à découvert. J’ai traversé le fleuve Agcawayan pour atteindre un point situé à environ trois cents mètres de l’endroit du rendez-vous. Il était alors quatre heures de l’après-midi, j’avais donc tout mon temps. J’ai remplacé mon camouflage par des feuilles fraîches. Auparavant, il y avait des rizières autour du lieu de la rencontre, mais désormais c’était une plaine herbeuse avec quelques palmiers ici et là. Des bambous et des buissons poussaient le long du fleuve. Je me suis mis à gravir une petite colline d’où je pourrais à la fois observer le lieu de rendez-vous et surveiller les environs. C’était à cet endroit même que j’avais rencontré Norio Suzuki, deux semaines plus tôt. L’avant-veille, un message de ce dernier me demandant de le voir à nouveau avait été déposé dans la boîte à lettres dont nous étions ensemble convenus. Je devais donc y aller. Je craignais toujours qu’il ne s’agisse d’un piège. Si c’était le cas, l’ennemi pouvait très bien être en train de m’attendre sur la colline. Je me suis déplacé avec la plus grande prudence, mais je n’ai remarqué aucun signe de vie. Au sommet de la colline, au milieu des arbres et des buissons, j’ai observé attentivement le lieu de rendez-vous. Tout près de l’endroit où Suzuki avait tendu sa moustiquaire, j’ai aperçu une tente jaune. Au-dessus flottait un drapeau japonais. Mais pas âme qui vive. Étaient-ils en train de se reposer dans la tente ? Ou bien se cachaient-ils quelque part en attendant que je me montre ? Après trente minutes d’observation minutieuse, au cours desquelles il ne se produisit absolument rien, j’ai descendu la colline et je me suis approché à une centaine de mètres de la tente. Puis je me suis déplacé pour avoir une meilleure vue, sans toutefois apercevoir quiconque. J’en conclus qu’ils devaient être dans la tente et me résolus à attendre le crépuscule. Le soleil commença à se coucher. J’ai inspecté mon fusil et renoué mes lacets. J’étais confiant : j’aurais pu marcher jusqu’à la tente les yeux fermés et je me sentais fort, car je m’étais reposé tout en surveillant le lieu de rendez-vous. J’ai sauté par-dessus une clôture en barbelé et me suis fondu dans l’ombre du tronc d’un palmier. J’ai attendu un instant avant de prendre une inspiration et de regarder à nouveau en direction de la tente. Tout était tranquille. Et l’heure est venue. J’ai saisi mon fusil, bombé le torse et me suis mis à marcher à découvert. Suzuki me tournait le dos, debout entre la tente et un feu qu’ils avaient allumé près de la rive. Lentement, il s’est retourné, et lorsqu’il me vit il se mit à marcher vers moi, les bras grands ouverts.

    « C’est Onoda ! cria-t-il. Major Taniguchi, c’est Onoda ! » Dans la tente, une ombre bougea, mais je continuai à marcher. Suzuki, les yeux exorbités par l’excitation, courut vers moi pour me serrer chaleureusement la main gauche. Je me suis arrêté à une dizaine de mètres de la tente, de l’intérieur de laquelle une voix se fit entendre. « C’est vraiment vous, Onoda ? Je suis à vous dans une minute. » Je reconnus là le timbre du major Taniguchi. Sans bouger, j’ai attendu qu’il fasse son apparition. Suzuki s’est penché par l’ouverture dans la tente et en a sorti un appareil photo. À l’intérieur, le major était torse nu. Il a jeté un œil vers moi et a déclaré : « Je suis en train de changer de vêtements. Attendez une minute. » Peu après, il est sorti en grande tenue, une casquette de l’armée sur la tête. Figé dans un garde-à-vous impeccable, j’ai hurlé : « Lieutenant Onoda, major. À vos ordres. – Parfait, a-t-il répondu en s’approchant de moi pour me tapoter l’épaule gauche. J’ai apporté ça pour vous, de la part du ministère de la Santé et des Affaires sociales. » Il m’a tendu un paquet de cigarettes sur lequel était imprimé le chrysanthème du sceau impérial. Je l’ai accepté et je l’ai levé au-dessus de moi pour marquer comme il se doit mon respect pour l’empereur, puis j’ai reculé de deux ou trois pas. Non loin, Suzuki se tenait prêt avec son appareil photo. Le major Taniguchi a déclaré : « Je dois vous lire vos ordres. » J’ai retenu ma respiration et il a commencé la lecture du document qu’il tenait solennellement des deux mains. D’une voix plutôt basse, il dit : « Commandement du quartier général, 14e armée régionale. » Puis, un ton au-dessus, il poursuivit : « Ordre de l’escadron spécial, du chef du cabinet du quartier général, Bekabak, 19 septembre, 19 heures. « 1. En accord avec le commandement impérial, la 14e armée régionale a cessé tout combat. « 2. En accord avec le commandement militaire du quartier général N° A-2003, l’escadron spécial du chef de cabinet du quartier général est relevé de tout devoir militaire. « 3. Les unités et les soldats sous le commandement de l’escadron spécial doivent immédiatement cesser tout acte de guerre et toute opération, et se placer sous l’autorité de l’officier supérieur le plus proche. S’ils ne peuvent joindre cet officier, ils doivent prendre contact avec les forces américaines ou philippines et suivre leurs directives. « Escadron spécial, chef de cabinet du quartier général de la 14e armée régionale, major Yoshimi Taniguchi. »
    Il fit une courte pause puis ajouta : « C’est tout. » Je restai calme, attendant la suite. J’étais certain que Taniguchi allait s’approcher de moi et murmurer : « Sacré discours. Je vous donnerai vos véritables ordres plus tard. » Après tout, Suzuki était présent, et le major ne pouvait pas vraiment me parler devant lui. J’ai observé Taniguchi. Il m’a tout juste accordé un regard. Quelques secondes passèrent, mais il n’ajouta pas un mot. Mon sac à dos me parut soudain peser très lourd sur mes épaules. Lentement, le major Taniguchi a replié le document officiel, et c’est alors que je me suis rendu compte qu’il n’y avait là aucun subterfuge. Ce n’était pas un piège : tout ce que je venais d’entendre était vrai. Il n’y avait pas de message caché. Le sac à dos devint encore plus lourd. On a vraiment perdu la guerre ! Comment ont-ils pu laisser faire ça ? Soudain, tout devint noir. Une tempête faisait rage en moi. Je me suis senti ridicule de m’être montré si méfiant sur le chemin qui m’avait mené jusqu’ici. Pire encore : à quoi est-ce que j’avais passé mon temps durant toutes ces années ? Peu à peu, la tempête se calma, et pour la première fois je compris réellement la situation : mes trente années de guérilla pour l’armée japonaise venaient de prendre brutalement fin. C’était terminé.
    J’ai actionné la sécurité de mon fusil pour vider le chargeur de ses balles. « Ça a dû être dur, dit le major Taniguchi. Détendez- vous. » J’ai enlevé le sac que j’avais sur les épaules et que j’emportais partout avec moi, puis j’ai posé mon arme dessus. Est-ce que vraiment, je n’aurais plus l’utilité de ce fusil que j’avais entretenu et soigné comme un nouveau-né pendant toutes ces années ? Ni de celui de Kozuka, que j’avais caché dans une anfractuosité rocheuse ? Est-ce que la guerre avait réellement pris fin il y a trente ans ? Dans ce cas, Shimada et Kozuka étaient morts pour quoi ? Si ce que je venais d’entendre était vrai, n’aurait-il pas été préférable que je meure avec eux ? Lentement, j’ai suivi le major Taniguchi jusqu’à la tente. Cette nuit-là, je ne pus fermer l’œil. Une fois à l’intérieur de la tente, j’ai commencé à faire un rapport sur mes trente années d’actions militaires et de reconnaissance à Lubang – un rapport de terrain détaillé. De temps à autre, le major Taniguchi plaçait un mot ou deux, mais la plupart du temps il écoutait attentivement, acquiesçant parfois en signe d’agrément ou de compassion. Aussi calmement que possible, j’ai raconté chaque événement, dans l’ordre. Mais plus je parlais, plus l’émotion me submergeait, et, lorsque j’en suis arrivé à la mort de Shimada et de Kozuka, j’ai bafouillé à plusieurs reprises. Le major Taniguchi clignait des yeux comme pour retenir ses larmes. La seule chose qui m’a empêché de m’écrouler complètement fut le ronflement régulier du jeune Suzuki, qui avait bu une bonne quantité de saké avant de s’endormir sur son lit de camp. Avant que je n’entame mon rapport, Suzuki avait demandé au major s’il devait prévenir les autres équipes de recherche que je m’étais montré. Taniguchi lui dit de n’en rien faire, car nous nous serions aussitôt retrouvés assiégés par un grand nombre de personnes. Suzuki envoya le message « aucun changement », et je me suis mis à parler au major jusqu’à l’aube, sans discontinuer. À plusieurs reprises, il m’a ordonné d’aller me coucher et de lui raconter la suite le lendemain, mais à chaque fois je me suis relevé moins de dix minutes plus tard. Comment dormir dans cette situation ? Je devais tout lui raconter, ici et maintenant. Finalement, je suis arrivé au bout de mon histoire et le major a déclaré : « Maintenant, il est temps de dormir. Il reste une heure à peine avant que le soleil ne soit levé pour de bon. Une dure journée nous attend, et même une heure de sommeil sera la bienvenue. » Il devait être soulagé que les recherches aient pris fin, car quelques secondes après s’être allongé il ronflait. Pas moi. Après toutes ces années à dormir dehors,


    je ne pouvais pas me faire au lit de camp.

    J’ai fermé les yeux, mais j’étais plus éveillé que jamais.